[Fiche lecture] « La Mission » de Khadija Camara : une leçon sur la finesse du dialogue romanesque

Article : [Fiche lecture] « La Mission » de Khadija Camara : une leçon sur la finesse du dialogue romanesque
Crédit: SENATEUR DIALLO
3 avril 2022

[Fiche lecture] « La Mission » de Khadija Camara : une leçon sur la finesse du dialogue romanesque

Abdourahmane Sénateur Diallo dans la rédaction de Radio Espace Guinée. Crédit photo : Sénateur

Quel art ! Quelle mesquinerie ! Quelle ingéniosité ! Mais quel roman ! Personnellement, les glossaires vagues et pédants ne m’attirent pas. Les rocambolesques tournures linguistiques qui dégoûtent le plaisir de la lecture ne me plaisent pas du tout. Non ! Je ne respecte pas un vocabulaire forcé.

J’aime l’art. C’est ce qui me fascine : l’inspiration, la créativité, la démonstration, la force de la disposition des êtres et des choses, le respect des genres… C’est ce qui stimule mon esprit vers de sensations bohèmes, vers le meilleur de la volupté spirituelle. Oh ! J’adore quand c’est bien pensé. Je tiens plus au cadre qu’au contenu ; plus aux détails qu’aux généralités ; plus au monde qu’aux humains…

Mesdames et messieurs, suivez-moi. Venez avec moi en mission. Plongeons ensemble dans « La Mission » de Khadija, en quête de bien-être littéraire et social. Un sujet d’une problématique actuelle dans le cosmos du sale, une finesse narrative exaltante de laquelle on entrevoit une simplicité absurde qui châtie l’entendement d’un lecteur novice, et, bien sûr, une malice anormale au constat de l’incroyable décalage intellectuel et humain entre le produit et l’auteur.

Ensemble, analysons « La Mission » de la très cosmopolite Khadija Camara.

Vérification du genre

La Mission est un roman. Même si en Guinée, c’est ce que tout le monde dit d’un ouvrage qui n’est pas versifié. Mais son auteure, elle, a raison : c’est bien un roman (une histoire artistiquement narrée sur une fiction vraisemblable). De ce fait, Khadija a franchi un important palier. Elle peut déjà être extraite du grand lot d’auteurs guinéens de la « nouvelle génération » qui noient la littérature du pays de Laye et de Monenembo dans un amalgame sur la notion du genre littéraire. Dire que la littérature guinéenne actuelle agonise sous la mêlée de l’amateurisme et de l’écriture futile n’est pas un abus de langage. Dommage que je le répète si souvent : ça ne s’arrange pas !

Khadija est une auteure guinéenne du premier ordre. Au moins, elle connait son genre. Tous les grands principes du genre romanesque se toisent dans son texte. De la constitution fictive de la matière, en passant par une intrigue qui zigzague notamment entre suspense, coups de massue et rebondissements, l’histoire qu’elle a proposée au monde est d’une rigueur pédagogique concordant avec les souhaits des démons et anges de la littérature. C’est une véritable Amélie Nothomb. Son sujet, vous allez le voir, est certes très intéressant. Mais lorsque vous découvrirez l’étendue de sa construction narrative, vous vous rendrez compte qu’elle sait où elle nous mène. Allons-y !

Le choix du sujet

Le monde du sale en deux sections : la drogue et le crime ! Qui vous dit que n’importe quelle plume peut s’y aventurer ? Pour commettre ou en parler, il faut d’abord du courage avec son sujet. C’est indéniable. Et puis, c’est une problématique sociale très préoccupante. Savons-nous la proportion de la société actuelle qui s’engloutit dans la noirceur de la drogue notamment ? Et le crime? Savons-nous combien y sont plongés ? Khadija nous crée son monde de crime, de sang, de drogue, de cruauté, d’horreur… Elle nous y plonge. Mais rassurez-vous, elle sait comment nous y sortir pour de vrai.

Vous savez, il est plus difficile d’écrire le plaisir que le dégoût; plus dur de décrire le beau que le laid. L’ordre est plus aisément explicable que le désordre. C’est un double-défi puisqu’on doit passer par la création du redressé à celle du courbé. Il faut construire pour détruire. La créativité du génie dans le monde du sale et du mal demande donc plus d’efforts parce qu’il faut d’abord penser le bien puis le convertir en mal : faire et défaire. Voilà ! J’arrive enfin à vous le dire de façon simple ! A nous alors de chercher à comprendre la mission de Khadija à travers le choix de ce sujet. Allons-y !

Analyse de la narration

Utilisons le schéma narratif quinaire pour tenter de comprendre l’intrigue de La Mission :

  • Situation stable :

L’histoire s’ouvre sur une tranquillité familiale : des parents super occupés mais bienveillants; des enfants sympas et visiblement bercés d’une éducation bourgeoise de Conakry. Les pages 9, 10 et 11 du livre. L’incipit est succinct et se résume très bien par une matinée de préparation mouvementée pour l’école et le service, respectivement pour les enfants (Yasmin, Salim, Aicha) et les parents (madame et monsieur Haidara).

  • Elément perturbateur :

Tout bascule donc au niveau des pages 12 et 13, où l’héroïne, Yasmin, se retrouve au mauvais lieu et au mauvais moment. Elle découvre alors cette personne qui agonise, à laquelle elle veut porter secours… C’était comme si, pour paraphraser Camus dans L’Etranger, quatre coups brefs qu’elle frappait à la porte du malheur. Et surgit ce chef de gang, « ce mystérieux monsieur », qui la met devant un dilemme : travailler avec lui et éviter de porter le chapeau d’un éventuel meurtre (qu’elle n’a jamais commis), ou refuser et se retrouver en prison. Yasmin n’a eu de choix que de marcher. Accord conclu pour éviter des embrouilles imprévisibles.

  • Dynamique de l’action :

Quelle intrigue ! Vous vous en doutez sûrement, avec un incipit aussi succinct pour un roman de 374 pages, les péripéties doivent être indéniablement vastes et vertigineuses. Et ça part en vitesse dès le deuxième chapitre pour une très longue histoire montée de la plus artistique des manières.

Finalement, ce « mystérieux monsieur » (Marshall), va réussir à enrôler Yasmin et l’intégra au « Ghetto noir », le Quartier Général de son gang. Pour aller vite, Yasmin commença à radicalement changer alors qu’elle est en pleine préparation du baccalauréat dans un lycée de Conakry. Elle est obligée de se droguer pour assurer des « missions » avec ses désormais impitoyables collègues du Ghetto : Clark, Linda, Mimi…

Les « missions » consistaient à assassiner froidement des hommes d’affaires, ou des personnalités importantes de la ville. Une sale vie du crime et de la drogue à laquelle Yasmin s’est parfaitement intégrée. Ce qui changea complètement son mode de vie. Sa famille le constatait bien mais toute question dans ce sens était à esquiver. Mais son frère et sa cousine ne lâchaient pas prise. Pendant ce temps, leur « Yas » s’illustre dans son nouveau monde. A chaque fois qu’elle a eu à violer un principe de confidentialité sur le fonctionnement macabre de sa secte, elle le payait très cher avec une crise au sein de sa famille. C’est ce qui a d’ailleurs conduit à sa famille de crime de porter atteinte aux membres de sa famille biologique. Ainsi, son aimable cousin, Raphael, se fait tirer dessus par les membres du « Ghetto noir ». C’est l’évènement qui va sérieusement accélérer le processus de retour à la vie normale de Yasmin. Le seul moyen possible : la vengeance. Heureusement, Raphael va se rétablir, in extremis. Avec lui, Yasmin va monter un plan de représailles. Son grand frère Salim aussi va s’y joindre pour sauver sa sœur. L’équipe des adjuvants va être ensuite complétée par des dissidents de la bande à Marshall, que Yasmin a réussi à retourner contre leur mentor.

  • Elément équilibrateur et Situation finale :

Le stratagème pour épingler le Ghetto va se mettre en place. Yasmin a dû d’ailleurs se faire passer pour morte durant des jours. Le plan est bien conçu avec le concours de la police qui n’a jamais vraiment cru à l’histoire de Yasmin. Par un assaut musclé, le « Ghetto noir » sera localisé, démantelé et mis à sac. Ses membres seront neutralisés. La famille de Yasmin se rendra alors compte de tout ce qui se passait dans la vie de leur fille. Sous leur tendresse, Yas se sent bien de nouveau. Tout redevient normal.

Style de l’auteure

On ne peut lire La Mission sans être frappé par l’abondance de dialogues tout au long du récit. L’auteure a élidé la narration pour faire évoluer l’intrigue par les perceptions des personnages, le tout dans une focalisation externe.

Ecrit dans un style doux, simple, cousu, accessible, La Mission est un roman agréable à dévorer.

Derrière la fiction

C’est d’ailleurs une fiction osée et en décalage fort avec la réalité du lieux décrit, Conakry. L’auteure nous a plongés dans un monde sadique à travers les joyeusetés de son texte. Derrière donc ce texte, se cache la volonté d’interpeller : le danger est souvent sous notre nez. En tant que parents ou autorités, il faut juste faire preuve d’attention pour détecter des choses louches.

Merci à Khadija Camara pour cette finesse !

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